Comment vivre ensemble ? (Lc 6, 39-45)

Le passage de Lc 6, 39-45 fait partie d’un ensemble plus grand qu’on appelle le discours dans la plaine. Il correspond au discours sur la montagne dans Mt 5 – 7, mais, en Luc, il est nettement plus court. Manifestement l’auteur a cherché à collecter des paroles de Jésus pour donner un enseignement aux disciples de la communauté chrétienne. En effet, une question s’est posée rapidement : comment vivre ensemble ? Pour cela, à qui faire confiance ? Pour répondre, l’auteur se sert des sentences de Jésus. Sans doute ce dernier avait-il recours aux proverbes de l’époque ou à la sagesse ordinaire de son peuple.

Les deux premiers exemples semblent énoncer des évidences : un aveugle ne peut pas conduire un autre aveugle et un élève n’en sait pas plus que son maître ou que son professeur. Evidences peut-être, mais qui devaient être mises à mal par la pratique. Voilà bien un défi que de se laisser guider ou former par un autre. Pour avancer dans la vie, et à plus forte raison, dans la vie chrétienne, on fait confiance à ceux qui ont de l’expérience. Je ne parle pas des personnes les plus en vue, et pas plus des prêtres. Ce qui est demandé aux uns et aux autres, c’est d’être clairvoyants pour indiquer la voie à suivre à ceux qui, encore hésitants, mettent leurs pas dans leurs pas.

La deuxième condition est complémentaire de la première. A travers l’histoire de la paille et de la poutre dans l’œil, Jésus dit simplement que, pour vivre ensemble, personne ne peut se dire meilleur qu’un autre. En fait il combat les illusions : celle de penser qu’on sait plus que les autres ou qu’on peut faire la leçon aux autres. Tout passe par le regard. L’œil est le miroir de l’âme, dit-on. Je ne peux regarder les autres en vérité et les aider que si j’accepte de me regarder en vérité. Si je ne fais pas, je risque de prendre des airs suffisants et satisfaits. Mais pour les autres, je risque de ne voir que les défauts et les erreurs.

La troisième condition constitut un test pour mesurer notre capacité à vivre ensemble. Pour cela Jésus parle de l’arbre qui donne du fruit. En fait on ne peut comprendre qu’à partir de la fin : « car du cœur débordant parle sa bouche » (v. 45). Le développement sur le fruit de l’arbre prépare à considérer la disposition du cœur. Dans le détail, on voit que dans les v. 43-45, la même préposition (elle disparaît dans les traductions) vient six fois :

  • Chaque arbre est reconnu à partir de son fruit,
  • On ne cueille pas de figues à partir d’épines,
  • On ne vendange pas de raisins à partir de ronces,
  • L’homme bon, à partir du bon trésor de son cœur, produit le bon,
  • L’homme mauvais, à partir du mauvais, produit le mauvais,
  • Car, à partir ducœur débordant sa bouche parle.

Cette fois, l’arbre ou la plante qui produit du bon ou du mauvais symbolise le cœur. Dans la Bible, il n’est pas le centre de l’affectivité ou des sentiments, mais le centre des pensées e des décisions à prendre. Cela nous conduit à approfondir nos attitudes.

  • Tout d’abord, les paroles que nous disons disent quelque chose de la disposition de notre cœur. S’il y a de la colère dans nos paroles, alors il est possible que cette colère soit déjà dans notre cœur. Mais s’il y a de l’amabilité ou de la sérénité dans les paroles, sans doute habitent-elles déjà notre cœur. Que reflètent donc les nombreuses paroles que nous échangeons ?
  • D’autre part, il s’agit de chercher et de trouver le trésor qui est dans le cœur. Jésus ne le définit pas, mais nul doute que l’évangile annoncé par Jésus constitue ce trésor. L’avons-nous intégré comme l’indispensable qui éclaire notre vie et nos comportements ? Pour vivre ensemble, nous devons constamment puiser dans ce trésor toujours disponible. Ne nous en privons pas.

Christian Berton

 

La parabole de la paille et de la poutre par Domenico Fetti (Metropolitan Museum of Art).