Il est permis de rêver

Le texte d’Ap 21, 5 fait rêver : « J’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle » ! Un peu plus loin, il dit en quoi consiste cette nouveauté : Dieu « essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus : plus de deuil, ni de cri, ni de douleur ». N’est-ce qu’un rêve ? Que diraient aujourd’hui les habitants de l’Equateur qui ont perdu des proches dans le tremblement de terre, sans compter de leurs maisons détruites ? Que diraient les Syriens ou les Irakiens obligés de fuir les combats ? Et pourtant le texte insiste : « Voici que je fais toutes choses nouvelles ». On a envie de dire à Dieu : « Chiche, fais-le ».

Ce texte appartient au livre de l’Apocalypse, le dernier et l’un des plus énigmatiques de la Bible. L’auteur nous rapporte des visions parfois fantastiques : des trompettes qui annoncent la mort, des chevaux fous, un dragon qui crache le feu et veut avaler un nouveau-né. Quelle imagination ! Où va-t-il prendre tout cela ? En fait l’auteur poursuit un projet précis : celui de réconforter une communauté blessée par des épreuves qui mettent en danger la foi. Des personnes veulent anéantir ce groupe de croyants en Christ, l’Agneau de Dieu. Parmi elles l’empereur Néron. Quand le visionnaire parle de Babylone dans ce livre, il désigne Rome, la capitale de l’empire. Et la question revient, toujours la même jusqu’à aujourd’hui : le mal va-t-il triompher dans ce monde ? Qui va nous donner l’horizon clair d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle ?

Déjà le prophète Isaïe avec évoqué la même espérance quand le peuple était revenu d’exil : il rêvait déjà d’un avenir meilleur. Pour lui, seul Dieu pouvait ouvrir l’horizon (Is 65, 17-18) et « créer une exultation et un enthousiasme perpétuels. »

Quand le Pape François a écrit la lettre sur « la sauvegarde de la maison commune », Loué sois-tu Seigneur, il évoque le texte de l’Apocalypse, tout à fait à la fin de son texte. Il n’a pas cessé de dire que « tout est lié » : non seulement l’effort écologique, mais aussi la justice sociale qui doit l’accompagner. Les deux vont ensemble et nécessitent une conversion. Elle  « implique la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle communion universelle. »

Nos sentiments sont en jeu. Et Jésus, dans l’évangile, surenchérit : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres ». Deux questions se posent :

  • Pourquoi faut-il un commandement de nous aimer les uns les autres ? Après tout, quoi de plus naturel que le sentiment d’amour, de respect, d’entraide, de soutien fraternel ! C’est ce qui se vit dans les familles et le voisinage. Et pourtant, tout le monde sait qu’il est difficile d’être au top, qu’il y a beaucoup à faire pour nous aimer les uns les autres. Et Jésus savait que ses disciples entretenaient des rivalités entre eux. La communauté qu’il avait mise en route ne pourrait grandir que si elle apprenait à surmonter ses divisions.
  • En quoi est-ce un commandement nouveau ? Après tout, nous aimer les uns les autres, c’est vieux comme le monde ! En quoi consiste la nouveauté ? Elle réside dans le « comme je vous ai aimés » : un amour sans condition et qui va jusqu’au bout du don. Pour reprendre les mots du pape : « nous avons une responsabilité vis-à-vis des autres et du monde » parce que « depuis trop longtemps déjà, nous sommes dans la dégradation morale, en nous moquant de l’éthique, de la bonté, de la foi, de l’honnêteté ». Le constat est sévère, mais il au moins il ose nommer ce qui mine l’amour fraternel.

Dieu veut créer un ciel nouveau et une terre nouvelle, mais il a besoin de cœurs aimants. Comme Jésus les hommes doivent apprendre l’amour gratuit qui donne, sans se préoccuper de recevoir en retour. Il ne s’agit pas d’un rêve mais d’une réalité à vivre au quotidien.

 

Père Christian

 

La révélation de l’Apocalypse 1250 – Enluminure. Pierpont Morgan Library, New York