La Bonté de Dieu n’a pas d’heure (Mt 20, 1-16)

L’histoire racontée par Jésus a un parfum de scandale. Les ouvriers qui n’ont travaillé qu’une heure reçoivent autant que ceux qui ont supporté le poids de toute la journée de travail. Il y a de l’injustice dans l’air. Mais Jésus utilise à dessein le ton de la provocation pour forcer la réflexion des auditeurs. Le maître de maison est-il vraiment injuste ? Pour mieux comprendre, il convient de considérer chacune des deux parties de la parabole avant de commenter la conclusion.

La première partie (v. 1-7) insiste sur l’action du maître de maison : il sort dès le matin, et cela cinq fois de suite, pour envoyer à sa vigne. Il embauche tous ceux qu’il trouve. Avec les premiers il s’accorde sur un denier. Avec les suivants de la troisième heure, il annonce qu’il donnera ce qui est juste. Quant aux autres, il ne fait aucune promesse. Il leur demande seulement d’aller travailler à la vigne. A travers ces premiers versets, on note l’empressement du maître pour que personne ne soit laissé de côté. Les ouvriers de la dernière heure sont pris en considération. Il n’y a pas d’heure.

La deuxième partie (v. 8-14) se déroule le soir. Dans l’économie ancienne, le salaire devait être remis à la fin de la journée de travail. La parabole joue sur les situations. Ce sont les derniers venus qui reçoivent en premier. Le maître les gratifie d’un denier. On comprend l’attente des premiers qui s’attendent à recevoir davantage. Mais ils déchantent rapidement et doivent se contenter du denier promis. En cela le maître n’est pas injuste puisqu’il y avait un accord sur le salaire (v. 2.13).

La conclusion oriente la réflexion (v. 15). Jésus désarçonne ses auditeurs parce qu’il vient présenter un Dieu qui ne raisonne pas à la manière humaine : « Mes pensées ne sont pas vos pensées » (Is 55, 7-8). La logique voudrait que chacun reçoive en fonction de ses mérites, comme des employés rétribués en fonction des heures passées sur le chantier. Mais on notera que le maître de maison respecte le contrat d’un denier passé avec les premiers. Pourtant ils murmurent car ils se sentent lésés. Le verbe ‘murmurer’ a une longue histoire. Il s’enracine dans l’attitude du peuple de Dieu qui murmurait contre Moïse dans le désert (Ex 15, 24 ; 16, 2). Dieu oublierait-il à nouveau son peuple ?

Dieu poursuit sa logique. A travers la réponse du maître de maison, il oblige à une remise en cause : « Ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ? » (Mt 16, 15). Avoir l’œil mauvais est une expression connue de la Bible. Ainsi, en Si 14, 8 : « Il est mauvais, l’homme à l’œil envieux, qui détourne le visage et méprise les gens », et un peu plus loin : « L’œil mauvais est envieux à cause du pain » (v. 9). On peut lire encore Pr 28, 22. Jésus renvoie aux dits de sagesse pour conspuer le comportement de certains de ses auditeurs. Ils sont jaloux, remplis d’envie parce que Dieu, à travers le ministère de Jésus, fait preuve de bonté à l’égard de tous. Il ne fait pas de distinction, surtout pas à l’égard de ceux qui sont à l’écart, alors que la société juive avait tendance à cloisonner pour ne pas se mêler aux ‘impurs’. Personne ne peut revendiquer d’être plus méritant que d’autres. L’amour que Dieu prodigue n’est pas de l’ordre du donnant-donnant, mais du don sans contrepartie. La bonté de Dieu ne se négocie pas : il n’y a pas d’heure pour en bénéficier.

Père Christian

 

Les ouvriers de la 11ème heure. Jacobsz Lambert (XVIIème siècle). Musée de Besançon.