La loi du milieu (Is 43, 16-21 ; Ph 3, 8-14 ; Jn 8, 1-11)

Je m’imagine volontiers la scène de cet évangile. On interrompt l’enseignement de Jésus pour lui soumettre un cas. Voilà qu’on amène une femme qui a désobéi à l’un des commandements de la loi. On la met au milieu, elle va subir l’implacable loi du milieu ! On peut s’imaginer que les accusateurs se mettent autour. Mais ne nous trompons pas. Il y a un double procès.

Celui de la femme dont les cœurs secs ont déjà scellé le destin. Curieux : on ne parle pas de l’homme ! Cette femme devrait mourir.

Mais il y a aussi celui de Jésus, qu’on met à l’épreuve pour l’accuser. Son futur procès, formel, celui-là, viendra à son heure, à Jérusalem.

Le cercle qui se forme autour de la femme et de Jésus ferme toute perspective. Tout est dit par avance. Se trouver au milieu d’une affaire n’est pas bon signe. On se trouve, parfois malgré soi, au cœur d’une tempête d’ennuis qui vous tombent dessus. Le cercle s’est fermé, chacun peut arguer de son bon droit. Comment échapper lorsqu’on est stigmatisé par les certitudes inamovibles de certains ?

Mais Jésus refuse de se laisser enfermer dans le cercle de l’étroitesse où les accusateurs veulent le confiner. L’air n’y est pas respirable parce qu’il y manque l’essentiel : la compassion et l’amour. Nous le savons par expérience : il est facile d’accuser et difficile de pardonner. Nous traçons parfois, autour de certaines personnes, des cercles infernaux qui les emprisonnent dans leur passé. Comment pourront-elles en sortir ?

Les deux premières lectures nous donnent une nouvelle perspective.

Dieu, écrit Isaïe, veut faire toute chose nouvelle, et rien ne l’arrête : il a déjà fait un chemin dans la mer lorsqu’il a fait sortir Israël d’Egypte. Il veut faire un chemin dans le désert, faire passer des fleuves dans des lieux arides. Le cœur humain est parfois tellement aride qu’il n’en sort aucune perspective positive pour les autres. Il se fige dans ses certitudes. Mais la parole de Dieu se veut résolument optimiste : « Ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle.» Dans le cœur le plus aride, Dieu peut faire passer des fleuves de miséricorde et d’amour.

Saint Paul, dans la lettre aux Chrétiens de Philippe, ne dit rien d’autre : les avantages d’autrefois n’ont pas d’intérêt pour lui. Aussi « oubliant ce qui est en arrière et lancé vers l’avant », il court pour se laisser saisir par le Christ Jésus.

Pour Isaïe comme pour Paul il y a un passé et un avenir, il y a un avant et un après. Il ne sert à rien de se crisper sur un passé révolu et stérile. Avec Jésus un avenir se dessine. Cette configuration nous concerne tous, qui que nous soyons.

Cela vaut bien sûr pour la femme accusée. Jésus lui dit la parole qui libère : « je ne te condamne pas. » Maintenant que le cercle est totalement ouvert, elle peut aller sur son chemin de vie, débarrassée du regard inquisiteur.

Curieusement cela vaut aussi pour ses accusateurs. Ils partent un par un car ils savent bien que le cercle pourrait se refermer sur eux. Ils sont tombés dans le propre piège qu’ils ont tendu à Jésus. N’ont-ils pas péché ? Ne sont-ils pas tombés eux aussi un jour ou l’autre ?

Cela vaut pour les personnes enfermées dans le cercle de la misère. La campagne du CCFD cette année – « pour vaincre la faim, devenons semeurs de solidarité » – veut agir sur les mécanismes qui conduisent à la malnutrition. Nous ne pourrons briser le cercle infernal de la pauvreté que par le partage et la solidarité.

Cela vaut enfin pour nous aujourd’hui. A deux semaines de la fête de Pâques, nous avons besoin d’identifier les erreurs et les péchés qui plombent notre vie. Ils nous empêchent d’envisager sereinement l’avenir avec le Christ et les autres. Laissons sa place au Christ pour qu’il fasse en nous et par nous toute chose nouvelle.

Père Christian Berton

 

Nicolas Poussin, Le Christ et la femme adultère, 1653 (Musée du Louvre)