L’Attente de Dieu (Is 5, 1-7)

En Isaïe 5, 1-7, la Bible propose le chant d’un bien-aimé pour sa vigne. On y reconnaît volontiers, au moins au début du poème, les accents du Cantique des Cantiques où la recherche mutuelle des amants symbolise une alliance à consolider.

 

Les versets d’Isaïe résonnent en fait comme une parabole qui ne se concentre pas sur la beauté de l’amour, mais sur la déception. Elle devient une parabole de jugement. Le plan est simple. Les versets 1 et 2 mettent en avant l’effort du bien-aimé : il n’a pas ménagé sa peine, mais le résultat n’est pas à la hauteur : la vigne ne produit que de mauvais raisins (v. 2). Les v. 3 et 4 élargissent la parabole à une interpellation, avec une question : « pourquoi ? » (v. 4). Les versets 5 et 6 se font l’écho d’une nouvelle disposition : autant il avait tout mis en œuvre pour avoir le meilleur produit, sur un coteau plantureux (v. 1 et 2), autant il va tout faire pour que la vigne soit saccagée (une pente désolée, selon la traduction de la TOB).  Il n’y poussera que des épines et des ronces (v. 6). Les deux mots se retrouvent fréquemment dans le livre d’Isaïe pour indiquer une terre désolée (Is 7, 23-25 ; 9, 17 ; 27, 4). Mais on retrouve la même paire (avec des mots hébreux synonymes) en Gn 3, 18 : après le péché de l’homme et de la femme dans le jardin d’Eden, la terre ne produira que des épines et des ronces (cf. Os 10, 8 ; Jr 32, 13). Le verset final (v. 7) donne une application concrète à la situation d’Israël : le peuple n’a pas été à la hauteur de l’attente de Dieu.

 

Pour entrer plus à fond dans la compréhension de ce chant, il convient de considérer deux séries de mots qui donnent son unité au texte.

Le premier est le verbe ‘faire’. Il revient 7 fois, mais il disparaît dans les traductions pour éviter les répétitions. Au v. 2, il convient de lire : ‘Il attendait qu’elle fasse de beaux raisins, mais elle en fit de mauvais’, et de même au v. 4 : ‘Pourquoi ? J’attendais qu’elle fasse de beaux raisins, mais elle en fit de mauvais’. Au v. 6, le verbe ‘faire’ se déploie dans des actions concrètes : ‘enlever la haie et ouvrir une brèche’. Le texte repose donc sur deux séries d’actions contraires : le ‘faire’ du bien-aimé et le ‘faire’ de la vigne. Cette dernière n’arrive pas à s’accorder à l’initiative du premier.

Le deuxième mot est le verbe ‘espérer’ (attendre dans la traduction de la TOB). Aux v. 2 et 4, il exprime l’attente raisonnable du bien-aimé : des beaux raisins. L’application du v. 7 dévoile le secret de l’attente : le droit et la justice, mais il ne trouve qu’injustice et cris de peur. Il est presque impossible de rendre le ton de ce verset, car le texte hébreu joue sur les consonances entre les mots.

 

La Bible associe fréquemment le droit et la justice pour dire l’idéal de la royauté d’Israël. Le roi se devait de promouvoir (mot à mot de ‘faire’) le droit et la justice. De nombreuses textes témoignent de cette préoccupation. Ainsi David faisait droit et justice à tout son peuple (II S 8, 15). La reine de Saba, rendant visite à Salomon, bénit Dieu qui l’a établi roi pour exercer (faire) le droit et la justice (I R 10, 9). Les plus anciens prophètes en font une description idyllique : « Je te fiancerai à moi par la justice et le droit, l’amour et la tendresse » Os 2, 21). Les psaumes relaient cet idéal (Ps 72, 2). En fait le roi se devait de reproduire, dans son règne, ce qui est la base du règne de Dieu : « La justice et le droit sont les bases de ton trône » (Ps 89, 15 ; 97, 2). Mais les traditions les plus anciennes indiquent que le peuple n’a pas respecté cette proposition. Déjà Amos, dès le VIIIème siècle av. J.C. dénonce, sans complaisance, l’incurie d’un peuple qui se croit à l’abri de la prospérité : « Ils changent le droit en poison et traînent la justice à terre » (Am 5, 7). Le tribunal est devenu un lieu d’injustice pour les pauvres. Isaïe, un siècle plus tard, n’est pas en reste : « Comment est-elle devenue une prostituée, la cité fidèle, remplie de justice, refuge du droit et maintenant des assassins ? » (Is 1, 21).

Le chant du bien-aimé pour sa vigne en Is 5, 1-7 s’inscrit dans cette veine prophétique. Le peuple d’Israël et ses dirigeants ont trahi l’alliance que Dieu avait conclue avec Moïse. Ils n’ont pas respecté le pacte qui les liait. Cela ne peut engendrer que du malheur (Is 5, 8-24).

 

Père Christian