Du cri de désespoir à la louange (Ps 22)

Peu de chrétiens ignorent le psaume 22 (21). Ils le connaissent au moins par le cri de désespoir par lequel il commence : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » C’est la dernière parole que Jésus dit sur la croix, au moins dans l’évangile de Matthieu. D’autres expressions aux v. 7.9.19 se retrouvent dans le récit de la passion.

Pour mieux prier ce psaume, essayons d’en comprendre la composition. On peut accueillir le sens que si on le lit jusqu’au bout. En effet on y trouve deux parties principales. Les v. 2-22 disent la prière dans la douleur. Les v. 23-32 se font l’écho de la louange.

 

Dans la première partie alternent plusieurs modes d’expression ordonnés de façon régulière

 

La reprise des mêmes mots ou d’expressions synonymes indique une belle régularité dans cet ensemble de versets. On remarquera notamment le recours au registre du salut et de la délivrance : v. 2.5.6.21.22. L’alternance est aussi marquée par les changements de pronoms fortement soulignés en hébreu : ‘toi’ au début de 4 et de 10, puis à la fin de 11, et ‘moi’ au début de 7.

 

Une question se pose : l’homme qui prie sera-t-il exaucé ? En fait la réponse vient à la fin du v. 22 : « Tu m’as exaucé ». Certaines bibles ne mentionnent pas la fin de ce v. 22 (cf. Bible de Jérusalem). Pourtant elle fait bien partie du texte hébreu et fait écho à la plainte du v. 3 : « tu ne m’as pas exaucé ». Bien plus elle marque un tournant dans le ton du psaume tout entier.

Cette assurance de la réponse souhaitée repose à la fois sur le rappel des interventions favorables de Dieu (v. 4-6 et 10-11). Le même verbe hébreu (traduit par ‘compter sur’, ‘faire confiance’ ou ‘être mis en sécurité’) revient quatre fois. La confiance se fonde sur ce que Dieu a déjà réalisé pour l’histoire du peuple, mais aussi dans l’histoire personnelle du priant.

Le motif de la détresse n’est pas spécifié dans le détail. Mais on voit une personne méprisée entourée de personnes malfaisantes (v. 17). Elle les compare à des animaux : des taureaux, des bêtes de Bashan et des lions (v. 13-14), puis à des chiens, au lion et aux buffles (v. 21-22).

La personne fait donc une expérience de solitude et de dépouillement, mais la confiance reste de mise.

 

La deuxième partie (v. 23-32) se répartit aussi régulièrement que la première entre invitations à la louange et les motifs de celle-ci :

 

 

A travers ces versets la louange domine, mais elle se prolonge par un geste de prosternation et d’hommage. Parce que l’homme a été exaucé, il a besoin de le proclamer (v. 23), ce qui sera repris par les générations à venir (v. 31). Mais le priant exprime aussi les motifs d’une telle attitude. Ils sont introduits aux v. 25.29 et 32 b par la conjonction ‘car’ (souvent oubliée dans les traductions).

 

L’auteur élargit la perspective. Au ‘je’ (v. 23.26) s’ajoute le pronom ‘vous’ (v. 24) puis la terre entière est convoquée pour louer le Seigneur (v. 28.30).

Enfin il est important de noter le renversement entre les deux parties du psaume :

  • La bande (mot à mot ‘l’assemblée’) de malfaiteurs (v. 17) est remplacée par une assemblée de louange (v. 23.26).
  • D’autre part alors que le priant se sentait ‘méprisé’ (v. 7), il se rend compte que le Seigneur ne méprise ni ne réprouve ‘un malheureux dans la misère’ (v. 25).

 

L’homme avait donc bien raison de crier vers le Seigneur. La vie (v. 27) l’a emporté sur la mort qui menaçait (v. 16). Pour passer ainsi du désespoir à la louange, il fallait que la confiance repose sur une expérience déjà vécue dans le peuple et ressentie personnellement. Grâce à elle, les trois mentions demandes (2-3, 12, 2 à-22) laissent la place à la louange (23-24, 26-28, 30-32a). Quant aux deux présentations de détresse, causes de la prière (7-9, 13-19), elles n’ont plus de raison d’être. Elles laissent donc la porte ouverte aux expressions des motifs de louange (25, 29, 32b). Il s’agit maintenant de se tourner vers Dieu, l’auteur de tout bien. La dernière phrase du psaume résume cela en une formule laconique : « Car il a fait » (v. 32 b). Le Dieu qui sauve est aussi le Dieu créateur.

 

Christian Berton

 


Psaume 21

02 Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? * Le salut est loin de moi, loin des mots que je rugis.

03 Mon Dieu, j’appelle tout le jour, et tu ne réponds pas ; * même la nuit, je n’ai pas de repos.

04 Toi, pourtant, tu es saint, toi qui habites les hymnes d’Israël !

05 C’est en toi que nos pères espéraient, ils espéraient et tu les délivrais.

06 Quand ils criaient vers toi, ils échappaient ; en toi ils espéraient et n’étaient pas déçus.

07 Et moi, je suis un ver, pas un homme, raillé par les gens, rejeté par le peuple.

08 Tous ceux qui me voient me bafouent, ils ricanent et hochent la tête :

09 « Il comptait sur le Seigneur : qu’il le délivre ! Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami ! »

10 C’est toi qui m’as tiré du ventre de ma mère, qui m’a mis en sûreté entre ses bras.

11 A toi je fus confié dès ma naissance ; dès le ventre de ma mère, tu es mon Dieu.

12 Ne sois pas loin : l’angoisse est proche, je n’ai personne pour m’aider.

13 Des fauves nombreux me cernent, des taureaux de Basan m’encerclent.

14 Des lions qui déchirent et rugissent ouvrent leur gueule contre moi.

15 Je suis comme l’eau qui se répand, tous mes membres se disloquent. Mon coeur est comme la cire, il fond au milieu de mes entrailles.

16 Ma vigueur a séché comme l’argile, ma langue colle à mon palais. Tu me mènes à la poussière de la mort. +

17 Oui, des chiens me cernent, une bande de vauriens m’entoure. Ils me percent les mains et les pieds ;

18 je peux compter tous mes os. Ces gens me voient, ils me regardent. +

19 Ils partagent entre eux mes habits et tirent au sort mon vêtement.

20 Mais toi, Seigneur, ne sois pas loin : ô ma force, viens vite à mon aide !

21 Préserve ma vie de l’épée, arrache-moi aux griffes du chien ;

22 sauve-moi de la gueule du lion et de la corne des buffles. Tu m’as répondu ! +

23 Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée.

24 Vous qui le craignez, louez le Seigneur, + glorifiez-le, vous tous, descendants de Jacob, vous tous, redoutez-le, descendants d’Israël.

25 Car il n’a pas rejeté, il n’a pas réprouvé le malheureux dans sa misère ; il ne s’est pas voilé la face devant lui, mais il entend sa plainte.

26 Tu seras ma louange dans la grande assemblée ; devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses.

27 Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ; ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent : « A vous, toujours, la vie et la joie ! »

28 La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur, chaque famille de nations se prosternera devant lui :

29 « Oui, au Seigneur la royauté, le pouvoir sur les nations ! »

30 Tous ceux qui festoyaient s’inclinent ; promis à la mort, ils plient en sa présence.

31 Et moi, je vis pour lui : ma descendance le servira ; on annoncera le Seigneur aux générations à venir.

32 On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son oeuvre !

(Source AELF)

 

Le Christ au Jardin des Oliviers, Paul Gauguin, 1889, Musée Norton (Floride, Etats-Unis)