Quarante jours au désert

Chaque année, au premier dimanche de carême, l’Église propose aux chrétiens d’entendre le récit de la tentation de Jésus au désert. L’Esprit le pousse dans ce lieu inhospitalier où, pendant quarante jours, il est tenté par le diable.

La Bible affectionne le nombre 40.

  • Ainsi le déluge a duré 40 jours (Gn 7, 40), Moïse a fait deux séjours de 40 jours en présence de Dieu sur la montagne (Ex 24, 18 ; 34, 28). Bien entendu personne n’oublie les 40 années du séjour du peuple dans le désert, entre l’Égypte et la Terre promise (Ex 16, 35, Nb 14, 33.34 ; 32, 13 ; Ps 95, 10 ; etc.). L’action salutaire des Juges assure au pays la paix pendant 40 ans (Jg 3, 11 ; 5, 31 ; 8, 28). Mais si le mal l’emporte, Dieu livre le pays aux Philistins pendant 40 ans (Jg 13, 1). Élie marche 40 jours et 40 nuits vers l’Horeb, refaisant symboliquement le chemin du peuple de Dieu (I R 19, 8). Dans d’autres textes le nombre 40 marque le temps d’un règne (I Sam 5, 4 ; I R 2, 11 ; I R, 11, 41 ; II R 12, 2). Même les pays étrangers sont concernés. Le prophète Ézéchiel annonce que l’Égypte sera un pays inhabité pendant 40 ans (Ez 29, 1-13) et à Ninive Jonas annonce un délai de 40 jours pour se convertir (Jon 3, 4). Dans d’autre cas, les événements collectifs ont des répercutions sur une personne : Ézéchiel ne doit-il pas porter symboliquement le péché de Juda pendant 40 jours (Ez 4, 6) !
  • Le Nouveau Testament reprend ces traditions anciennes (Ac 7, 30 ; 13, 21), en évoquant surtout la marche au désert pendant 40 ans (Ac 7, 7, 36.42 ; He 3, 10.17). Mais on y trouve deux traits originaux : les tentations de Jésus au désert pendant 40 jours et le temps qui sépare la Résurrection de Jésus de son Ascension (Ac 1, 3).

 

Cette accumulation de textes indique que le nombre 40 est devenu un nombre symbolique. Il peut être un temps de punition, de difficultés et de tentations, mais aussi un temps de bien-être, de paix, de préparation à vivre une autre étape. Ce dernier aspect a le mérite de réunir tous les textes invoqués. Pendant 40 ans ou quarante jours, les personnes vivent une expérience qui va les préparer à une autre phase de leur histoire personnelle ou collective.

 

Quand Jésus séjourne 40 jours dans le désert pour être tenté par le diable, il devient clair qu’il revit positivement l’épreuve que le peuple de Dieu avait vécue avant lui. Dans l’épreuve il ne se laisse pas vaincre par le tentateur. Mais le texte de Marc (Mc 1, 12-13), dans sa sobriété, renvoie à deux autres considérations.

  • La compagnie des bêtes sauvages indique que Jésus est en harmonie avec la création. Dans la fidélité Jésus renoue avec l’alliance que Dieu a conclue avec son peuple. La cohabitation avec les bêtes sauvages est à nouveau possible (Os 2, 16-21 ; Is 11, 6-9 ; Ez 34, 25-28). Son expérience devient expérience exemplaire d’un monde réconcilié.
  • Par ailleurs Jésus est réconforté par les anges. On peut lire en filigrane l’expérience de celui qui se fie en Dieu (Ps 91, 2) : les anges veillent sur lui (v. 11), aussi il n’a rien à craindre des bêtes sauvages (v. 13). Mais il n’est pas interdit de penser à Élie qui marche dans le désert. Épuisé, il se décourage, mais Dieu ne l’abandonne pas. Un ange lui donne la nourriture dont il a besoin pour continuer la route (I R 19, 4-8).

 

Ainsi le lecteur de l’évangile est averti. Le ministère de Jésus sera une marche difficile. Malgré les temps d’épreuve, son Père restera à ses côtés à chaque étape.

 

Père Christian

 

Tentations du Christ, mosaïque de la basilique de Saint Marc (Venise), XIIème siècle.