Un pèlerinage au bout de soi-même
Je voudrais m’arrêter à un aspect fortement mis en valeur en ce dimanche : celui du pèlerinage. Je pense que nous sommes appelés, à l’image de la sainte famille, à faire de notre vie un véritable pèlerinage pour aller jusqu’au bout de nous-mêmes.
Dans la première lecture, nous voyons que la famille d’Elcana va au temple de Silo. Elcana d’abord, puis Anne, son épouse avec Samuel, l’enfant qu’elle a eu après avoir prié le Seigneur. Pèlerinage coutumier mais démarche de reconnaissance parce que Dieu a répondu à la requête de celle qui le suppliait. L’évangile, lui aussi, nous montre la famille de Joseph, Marie et Jésus en mouvement. La coutume voulait qu’on aille à Jérusalem pour la Pâque. En cela rien de particulier. Pourtant la démarche de foi va prendre une tournure bien singulière.
Regardons d’abord Jésus. Il a 12 ans. Dans le peuple juif, c’est l’âge de la Bar Mitswa. A cet âge-là, on demande à l’enfant de lire en public, pour la première fois, quelques versets de la Bible en public. Cela se passe dans les synagogues. Mais ici, Jésus est au Temple. Là il se met à l’écoute des maîtres. Il pose des questions. Il veut savoir. Peu à peu il prend conscience de son identité profonde : « Ne savez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Voilà, il est chez son Père ! C’est sa première parole publique dans l’évangile de Luc. Elle prépare en quelque sorte la dernière qu’il prononcera lors de l’ultime étape. Ce sera à nouveau à Jérusalem. Lorsqu’il sera crucifié, il se tournera vers le Père pour dire, dans un dernier souffle : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit » (Lc 23, 46). Le début et la fin se correspondent, mais entre les deux, il y a toute l’épaisseur de son engagement de Fils et de serviteur. Oui, Jésus est allé au bout de lui-même. Il a vécu pleinement sa vie et son ministère comme un pèlerinage vers son Père à qui il remet tout de lui-même, dans la confiance.
Regardons les parents de Jésus. Ils sont inquiets parce que Jésus a disparu. Et comment des parents ne le seraient-ils pas lorsqu’un enfant échappe à leur vigilance ! L’actualité fait état de tellement de drames dans les familles pour cette raison. En fait pour Joseph et Marie, le véritable pèlerinage commence lorsqu’ils repartent, lorsqu’ils pensent qu’il est terminé. L’évangile nous fait entendre les verbes chercher (4 fois) et trouver (2 fois). Il ne s’agit pas d’un jeu de cache-cache ! Il s’agit pour eux d’aller jusqu’au bout de leur tâche de parents. Ils sont en souffrance parce qu’ils n’arrivent pas à cerner cet enfant qui, d’une certaine manière, leur échappe. Ils accueillent sa parole, mais ils ne comprennent pas ce qu’il leur dit. Pas encore, du moins, car le pèlerinage n’est pas terminé. Pour l’heure il s’agit de garder tous les événements dans son cœur pour en découvrir, au fil des étapes, le sens caché.
À la suite de Joseph, Marie et Jésus, je propose de regarder notre propre vie comme un pèlerinage au bout de nous-mêmes. Au baptême nous avons initié une démarche de foi. Les aléas de la vie la mettent à rude épreuve. Parfois la souffrance s’incruste et s’impose. Nous cherchons le mieux-être, mais nous ne le trouvons pas. Nous croyons nous connaître, mais nous devons toujours accepter des changements qui impactent notre style de vie. Saint Jean, dans sa 1ère lettre, nous rappelle notre identité profonde : enfants de Dieu. Une identité qui est encore à découvrir : « ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. » L’expérience montre combien peut être douloureuse la quête de ses origines, notamment pour les personnes nées sous X. Ici l’apôtre nous dit que nous pourrons accueillir notre identité profonde si nous mettons notre foi en Jésus et si nous nous aimons les uns les autres.
Il nous livre ainsi à la fois le terme du pèlerinage et le moyen de le faire. Le terme c’est « voir Dieu tel qu’il est » : retrouver l’harmonie perdue avec lui à cause de notre suffisance. Le moyen c’est l’amour mutuel. Il permet de s’épanouir, de se soutenir et de tisser ensemble les liens qui permettront à l’humanité de devenir une famille solidaire et pacifiée.
Une vrai défi sans doute, qui vaut bien qu’on aille jusqu’au bout de nous-mêmes.
Père Christian Berton