Une famille qui se laisse “bouger”

Homélie du dimanche 29 janvier 2019. Fête de la Sainte Famille.

 

L’évangéliste Matthieu livre quelques traits de la vie de la famille de Joseph, Marie et Jésus. Le moindre qu’on puisse dire est que cette famille semble ballotée par les événements. Il a fallu quitter Bethléem rapidement, « dans la nuit », parce que la menace grandissait : l’enfant était vu comme un concurrent d’Hérode ! Puis quelque temps après, sans précisions sur la durée, le retour, non pas en Judée, mais en Galilée, à Nazareth où la famille va s’établir. La peur et l’incertitude ont obligé Joseph et Marie à s’adapter et à trouver une réponse pour le bien de l’enfant. Vont-ils subir les événements ? Comment trouver la sérénité ? Où trouver un peu de stabilité ?

En famille, on vit des moments de grand bonheur, de partage. Les fêtes comme celle de Noël permettent précisément de se retrouver et de se redire combien cela fait du bien de laisser la joie éclairer les cœurs autant que les visages. Mais les familles sont aussi des lieux de grandes souffrances parce qu’il y a des incompréhensions, des non-dit, des énervements, des déconvenues. La vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille.

Si l’on suit l’actualité, nous verrons rapidement que, de nos jours, de nombreuses familles vivent dans l’angoisse. De quoi demain sera fait, quand arrivent les échéances financières ou les difficultés liées au travail ? Y a-t-il un avenir dans un pays où la guerre civile menace la sécurité des personnes et détruit les outils de travail ? Nous avons accueilli, sur notre paroisse, une famille syrienne qui a dû quitter Deir Es-Zor en Syrie, une ville meurtrie par la guerre. Cette famille a vu son commerce détruit et a dû se réfugier en Turquie avant d’arriver en France. Le fils, qui était resté à Damas, a réussi à rejoindre ses parents et sa sœur. Quel avenir quand il faut repartir à zéro, quand il faut se refaire une santé compromise ? Une famille comme tant d’autres dans le monde !

Pour revenir à l’Écriture, que pouvons-nous retenir ?

La première lecture (Si 3, 2-6.12-14), tirée du livre d’un livre d’un sage qui s’appelait Sira, donne des conseils en se basant sur le commandement : « Tu honoreras ton père et ta mère. » Un commentaire simple du respect que les enfants devaient à leurs parents. Aujourd’hui, les enfants ont appris à dialoguer avec leurs parents mais, parfois, ils ont de la difficulté à comprendre leurs points de vue. L’autorité parentale ne pourra s’exercer que si elle permet à l’enfant de grandir. C’est là son sens premier.

De la deuxième lecture (Col 3, 12-21), peut-être n’avons-nous retenu que l’injonction qui a peut-être fait grincer : « Femmes, soyez soumises à vos maris… ! » Voilà un texte daté qui partageait une mentalité bien établie, y compris dans la philosophie ambiante. Cela a bien changé et nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais remarquons qu’il y en a pour tout le monde : les épouses, les maris, les enfants, les parents. Remarquons surtout que ces injonctions sont contenues dans un double écrin. D’abord celui du pardon nécessaire, même s’il est difficile, dès lors qu’on veut vivre ensemble, puis de l’amour « qui est le lien le plus parfait. » Ces deux conditions préalables rendent possible la construction harmonieuse d’une vie de famille.

L’évangile (Mt 2, 13-15.19-23) se lit en référence à un fil rouge invisible à l’œil nu mais qui donne sens à cette histoire cabossée de la famille de Nazareth. Jésus refait l’itinéraire de son peuple. Comme lui il va en Égypte, comme lui il en revient : Joseph « entra dans le pays d’Israël. » Le parcours hasardeux de cette famille ouvre une perspective nouvelle. Une famille malmenée par l’histoire de son temps trouve le lieu de son repos qui n’est autre que le lieu de la promesse de Dieu à Abraham. Elle a dû écouter la parole du Seigneur. J’imagine que Joseph et Marie ont dialogué et médité cette parole. C’est elle qui a conduit Joseph à « se lever » pour partir, puis pour revenir.

Joseph, Marie, Jésus n’ont pas fait du sur-place comme s’ils devaient s’installer dans une réalité figée. Bien au contraire, leur famille a dû consentir à changer. Pour ne pas subir, elle n’a pas cessé de se laisser ‘bouger’ par la parole de Dieu qui les a guidés à chaque étape. C’est cette même parole de Dieu qui peut guider nos propres familles, encore aujourd’hui.

 

Père Christian Berton

 

La Fuite en Égypte, cathédrale Saint-Lazare d’Autun, XIIIe siècle. Sculpteur: Gislebertus. Photo Cancre. Licence CC BY-SA 4.0